Cliquez pour retourner à la Page d'accueil... Cliquez pour retourner à la Page d'accueil...
 

 

 

 

 

 

 



     


  

 

EXPLORATION AU KULA KANGRI
Un fauteuil roulant aux confins du Tibet.

Ont participé à l'expédition :
H. Guyetand (infirmière), L.Honnilh (Médecin), N. Honnilh, R. Jessup (alpiniste),
 A. Pêcher (Géologue et alpiniste), J.F. Porret (tétraplégique),  G.Sévenier (alpiniste).

Octobre 86

A la recherche d'un sommet, haut, exotique et peu connu, Richard et moi repérons sur une carte du Tibet le Kula Kangri et ses 7.554 mètres.

Après une longue et complexe recherche bibliographique, cette montagne s'avère quasi mythique. Aucun occidental ne l'a approchée, les géologues s'interrogent sur son origine, il y aurait peut-être même une mystérieuse seconde chaîne de 7.000 mètres dans le voisinage.

Avril 88

Après deux ans de démarches auprès des autorités chinoises, l'accès au Kula Kangri nous est enfin accordé.

Mars 89

Les Kampas de l'Est du Tibet se sont soulevés contre le joug chinois. Ils ont suscité des révoltes dans tout le pays. Repression sanglante, plusieurs milliers de morts à Lhassa. L'ascension du Kula Kangri nous est refusée, Richard réoriente l'expédition sur le Minya Konka au Sichuan.

Je suis muté aux Etats Unis où, à la suite d'un accident de parapente, ma vie de bipède se termine. Je me réincarne sur un fauteuil roulant.

Mars 93

Le rêve a repris corps, Richard se propose de conduire une reconnaissance dans le massif du Kula Kangri. Le C.N.R.S, passionné par le projet, délègue un de ses meilleurs spécialistes de géologie Himalayenne. Quant à moi je me fais fort de grimper aussi haut que possible avec mon fauteuil tout terrain.

Les Chinois semblent accepter notre incursion dans cette zone.

1er Mai

Lyon-Satolas, Air France a gentiment accepté de convoyer en soute nos 320 Kg de bagages, je contribue à moi tout seul au tiers de cette charge.
Traditionnel départ d'expédition : Excitation des voyageurs, émotion de ceux qui restent.

Kathmandou, la ville a peu changé depuis mon dernier passage en 1985, seulement plus de voitures et une pollution pénible.

4 Mai

Zangmu 2.300 mètres, porte du Tibet. La ville bâtie sur le flanc d'une gorge très encaissée est sale, sinistre à souhait. Il pleut, l'ambiance est morose. Un ivrogne roule dans un escalier raide et s'écrase à nos pieds dans une énorme mare de boue immonde; se relevant, il se prend d'une soudaine amitié pour Richard, qu'il entoure de ses bras affectueux ...

8 Mai

Les 850 Km de piste poussièreuse, parcourus en quatre longues journées sont derrière nous. Voici Lhassa et son célèbre "Potola", palais d'été des Dalaï Lamas. Il étale sur un promontoire rocheux, ses 400 mètres de large et ses 13 étages. Plus de 1.000 pièces sont reliées entre elles par des escaliers raides, ou même des échelles : un modèle d'inaccessibilité aux fauteuils roulants.

Pourtant, dans un formidable élan de solidarité alliant les solides épaules des copains à l'extraordinaire bonne volonté des moines tibétains, mon fauteuil et moi (parfois séparément), auront la chance unique de parcourir le palais jusqu'à son toit. "French Dalaï Lama", annonçaient les moines à mon arrivée dans les salles de culte.

L'altitude et la poussière commençant probablement à faire leur effet sur notre look, une vieille tibétaine me fait l'aumône d'un billet de 10 yuans, à moins que se ne soit par ferveur religieuse, ou par cécité ...

Descente symbolique du grand escalier frontal avec mon fauteuil tout terrain, une première, et un vieux fantasme qui se réalise.

11 Mai

Au départ de la piste qui nous mène vers le sud du Tibet, les autorités militaires contestent notre autorisation. Elles nous refusent le passage. Notre expédition s'arrête là, avant même d'avoir commencé. L'angoisse s'installe. Palabres, scénarios de replis sur un autre massif. Nous restons bloqués 24 heures, jusqu'à ce que revienne par route de Lhassa un sauf-conduit nous libérant.

13 Mai

Chöla, petit village tibétain situé à 4.400 mètres au départ du trek. Nous dormons sur les bancs de la salle de réunion de l'assemblée populaire. Les portraits de Mao et de Deng Tsio Ping veillent sur notre sommeil.

Depuis deux jours, j'ai la fièvre et tremble jour et nuit, je suis épuisé. Injections massives d'antibiotiques toutes les six heures, aspirine toutes les quatre heures. Lucien le toubib et Hélène l'infirmière se relaient avec courage et dévouement à mon chevet. Qu'elle est loin la France à ce moment là...

Richard, Guy et Arnaud partent seuls pour le col que nous convoitions. Ce trek est beaucoup plus engagé que nous le pensions : 5.600 mètres au lieu des 5.000 attendus, bourrasques de neige et isolement total.

15 Mai

Ma mystérieuse maladie semble s'atténuer et nous descendons tous les quatre avec les jeeps jusqu'à Lhakang Dzong, petite bourgade située à seulement 3.000 mètres d'altitude, à la frontière du Boutan.

Aucun occidental n'a jamais parcouru cet itinéraire. Il faut dire que la piste empruntée, taillée dans d'immenses pentes de shistes raides et instables, a de quoi rebuter les plus braves. Mais, surtout, nous sommes là en zône totalement interdite et en violation flagrante de notre permis de circuler. 
Nuit d'angoisse dans la crainte de l'armée chinoise, 

16 Mai

Nous opérons la jonction avec les trois montagnards, ravis de leur périple en altitude. Le parcours s'est avéré long et fatiguant, mais Ils ramènent une séquence filmée de deux hémiones à longue crinière (animal rarissime et mythique, mi âne, mi cheval), vivant à l'état sauvage au-dessus de 5.000 mètres d'altitude. Ce n'est pas la photo du Yéti, mais presque ! Arnaud est enchanté: nous sommes à l'endroit précis où le continent indien s'enfonce sous le Tibet. Les roches qui nous entourent, portent à l'évidence les stigmates de cette "lutte titanesque".

20 Mai

Voilà quatre jours que nous sommes installés sous nos tentes à 4.450 Mètres. Le camp de base, confortable, est situé au pied du Kula Kangri dont la face Nord nous domine de plus de 3.000 mètres.

Richard, Guy et Arnaud ont aménagé un camp avancé à 5.420 mètres, et sont partis en exploration sur la glacier Ouest, à la conquète d'un sommet vierge de plus de 6.000 mètres.

Le paysage, comme partout au Tibet, est aride et sévère. Le vent, incessant et froid, secoue en permanence les toiles de tentes, la poussière s'infiltre partout.

La vallée est peuplée de nombreux villages, dont les occupants viennent avec une curiosité amicale, mais souvent envahissante, observer les étranges animaux que nous sommes. L'hygiène ici est plus que précaire, la crasse une institution, et lorsque d'aventure deux ou trois tibétaines rentrent sous nos tentes, l'air instantanément devient totalement irrespirable.

J'ai recruté un cheval ou plus exactement une jument (je ne suis pas sexiste), pour me tirer aujourd'hui. Cela changera des mulets, ânes ou boeufs que j'ai pu essayer jusqu'à présent, sans compter les vigoureux mollets de mes copains VTTistes de Grenoble...

Quatre heures de montée relativement raide nous mènent sur une épaule rocheuse à 5.600 mètres, dominant le glacier du Kula Kangri. J'en redescends totalement seul, avec l'aide de ce merveilleux fauteuil tout terrain, jusqu'au camp de base. Instants de bonheur trop rares, que ces minutes de totale liberté intensément vécues à l'autre bout du monde.

22 Mai

Retour des grimpeurs, qui reviennent avec une moisson de renseignements sur le massif. Ils ont découvert une structure géologique totalement inattendue, et ont pu gravir un joli 6.000 mètres à l'arête de neige effilée. Fête au camp de base sous la tente mess. C'est bon de se retrouver à nouveau tous réunis.

Le chef du district local est venu s'enquérir avec un air suspicieux, de nos motivations à rester si longtemps dans le secteur. Il nous accuse de faire de la recherche scientifique, nous qui pensions qu'il ne comprenait rien à notre grand déballage technologique ! Bref, nous gênons et devons quitter les lieux avant le 23 Mai au soir.

26 Mai

Nous avons mis à profit les deux jours supplémentaires, résultant de notre éviction du Kula Kangri, pour faire un détour par le camp de base de l'Everest, accessible en jeep jusqu'à 5.200 mètres.

Nuit froide sous tente, tout est pris par la glace autour de nous, mais quelle merveilleuse vision que cette face Nord de la "Déesse Mère des Neiges" qui nous domine de ses 3.600 mètres, et de tout le poids de son histoire. De nombreuse stèles, comme celle du journaliste et alpiniste Michel Parmentier, rappellent les noms de ceux dont la passion a brûlé l'existence, et qui sont restés quelque part là haut. Séquence émotion.

28 Mai

La frontière à nouveau, l'aventure touche à sa fin. Je n'ai pu résister au plaisir de dévaler avec mon fauteuil tout terrain, les derniers 40 Km de piste, avec ses 3.000 mètres de dénivelé au travers d'une gorge vertigineuse, et à me propulser symboliquement sous la barrière frontalière Chinoise.

Nous laissons derrière nous le souvenir du sourire accueillant de tous ces tibétains, si chaleureux en dépit de leurs conditions de vie incroyablement rudes, et si fiers de leur pays malgré l'omniprésente occupation militaire chinoise.

Un pays difficile, qu'il faut mériter, mais combien riche de toute son histoire et de la beauté de ses paysages.

(extraits du carnet d'expé de JF Porret)
 

Le Site      Avertissement