Equateur: Récit
de l'aventure
(Jacques Lopez)
Origine
du projet
Le
projet HANDICAP 2000 EQUATEUR est né au sein de l’Association
Sportive de Villefontaine (ASVF), section montagne, aux alentours du
mois de septembre 1998. Initialisé par Gérard Genthon, handicapé
lui-même, il a tout de suite soulevé l’enthousiasme au sein de ce
club. Certains membres, douaniers (Claire et Lucien Guillermin), ont
immédiatement proposé d’y associer l’administration des douanes,
par l’intermédiaire de son Association Sportive Nationale (ASND).
Ce fut très rapidement chose faite et un autre douanier :
Bernard Thoulouze, coutumier des expédition en haute altitude, est
venu renforcer les rangs des organisateurs. Un tel projet ne pouvait
se développer sans l’appui de la Fédération Française
Handisports (FFH). L’accueil fut d’emblée extrêmement favorable,
puisque la FFH est devenue très vite le troisième partenaire de
cette Expédition. L’équipe, composée à terme de 19 personnes
dont 7 handicapés moteurs et 2 médecins, s’est ensuite rapidement
constituée.
HANDICAP 2000 EQUATEUR était
un ambitieux projet visant à faire coopérer des handicapés moteurs
et des personnes valides dans le cadre d’une expédition sportive en
haute montagne. L’objectif principal était l’ascension des deux
plus hauts sommets de l’Equateur : le Cotopaxi (5897m) et le
Chimborazo (6370m). Cependant l’objectif prioritaire était surtout
le Cotopaxi (plus haut volcan actif au monde) pour sa difficulté
moindre et l’esthétique de son itinéraire de montée. De ce fait
l’organisation était d’emblée conçue pour permettre plusieurs
tentatives sur ce sommet en cas de mauvaises conditions météorologiques,
toujours possibles.
Cette Expédition
s’articulait autour de deux traits essentiels :
µ
La diversité des handicaps :
Gilles Bouchet (paraplégique), Nicolas Charroin dit Nico (amputé
d’une jambe avec le genou bloqué), Pierre Delaval dit Pédro (amputé
des 2 mains), Gérard Genthon dit Gégé (amputé d’une jambe et
chef d’expédition), Guy Gerard dit Cadet (non voyant), Gilles Place
dit Gillou (hémiplégique) et Jean François Porret (tétraplégique) ;
µ
Une relation participants valides /
participants handicapés non hiérarchisée. En d’autres termes, les
participants valides n’étaient pas sensés emmener ceux handicapés.
Au contraire toute l’organisation visait à favoriser l’autonomie
des participants handicapés au sein du groupe.
L’Equipe
HANDICAP 2000 EQUATEUR est rentrée le 27 août 2000, après un périple
de 25 jours en Equateur. Cette expédition est un succès complet que
nous allons essayer maintenant de vous faire partager.
Les principales réalisations
Gilles
Place (hémiplégique), Guy Gerard (aveugle), Pierre Delaval (amputé
des 2 mains), Nicolas Charroin (amputé d’une jambe avec le genou
bloqué) et Gérard Genthon (amputé d’une jambe et chef d’expédition)
ont atteint le sommet du Cotopaxi à l’altitude de 5900 m (2ème
sommet de l’Equateur et plus haut volcan actif du monde), accompagnés
de sept valides et deux guides équatoriens. Tous ces handicapés sont
des sportifs accomplis mais il faut souligner tout de même la
performance de Gilles et Nicolas qui accomplissaient leur première
grande expérience d’alpiniste.
Un
seul regret, l’ascension du point culminant de l’Equateur :
le Chimborazo (6300m) n’a pas été tentée pour des raisons de sécurité.
En effet un volcan voisin : le Tungurahua (5020m) est entré en
éruption depuis quelques mois et a déposé sur le Chimborazo des
cendres chaudes qui ont intégralement fait fondre la neige. Seule la
glace a subsisté sur tout l’itinéraire de montée (sur plus de
1000m), rendant l’ascension beaucoup plus difficile et surtout
dangereuse.
Quant
à Gilles Bouchet (paraplégique) et Jean François Porret (tétraplégique)
ils ont atteint l’altitude de 5000m au refuge du Chimborazo, point
de départ d’une descente mémorable sur laquelle nous reviendrons
plus tard.
Une
formidable aventure humaine
L’ascension du Cotopaxi n’a
pu être réalisée que parce que toute l’équipe s’était
minutieusement préparée pendant de longs mois avant le départ, puis
s’est soigneusement acclimatée à l’altitude pendant les 12
premiers jours de l’expédition. Pour cela des montées dites en
dents de scie ont été effectuées (montées et descentes en
augmentant progressivement l’altitude). Au cours de cette période
d’acclimatation les sommets suivants ont été gravis :
-
Traversée du Fuya Fuya (4200m)
comportant de petits passages rocheux équipés de mains courantes.
-
Traversée du Pichincha (4800m), volcan
actif et très surveillé (la dernière éruption date d’octobre
1999 et a menacé la capitale QUITO), de même altitude que le Mont
Blanc mais sans neige ici. Cette ascension s'est effectuée dans des
conditions rudes de brouillard, vent et grésil.
-
Traversée de l’Illinizas Nord (5100m)
avec des pentes de neige à 30 degrés sur 200m et une ascension
rocheuse terminale à la limite de l’escalade, dans des rochers
instables et dangereux.
Mais y
eut aussi de longues marches autour de 4000m d’altitudes où tous
les participants était regroupés, les fauteuils tout terrain étant
tirés par des chevaux, des lamas, ou par nous mêmes. Ces marches ont
été l’occasion de contacts chaleureux avec les populations
indiennes locales, particulièrement avec les enfants, et ont contribués
à renforcer la cohésion du groupe. On a vu ainsi se forger, au fil
des jours, une incroyables solidarité entre tous les participants,
qu’ils soient handicapés ou valides. Il y eut des scènes cocasses,
comme Cadet (notre aveugle) poussant les FTT, activité pour laquelle
Nico (amputé d’une jambe) et Pédro (amputé des deux mains) ne
laissaient pas leur part aux autres. D’ailleurs, c’est Pédro,
montagnard accompli, qui malgré son handicap a assuré au plus près
Nico, gêné par son genou artificiel, lors de l’ascension du
Cotopaxi De même, les nombreux portages de Gilles et Jean-François,
lors des montées et descentes du car, n’ont jamais été vécus
comme une contrainte, pas plus que leur présence dans le groupe. Bien
au contraire, tous ont mis un point d’honneur à faire partager aux
deux ftététistes toutes
les grandes réalisations du groupe et ceux-ci ont vite joué un rôle
charnière autour duquel s’articulait toutes nos activités.
La montée au Pichincha fut
l’un des premiers grand temps forts de cette expédition. C’était
déjà la première nuit en refuge (4600m) pour l’ensemble du
groupe, après une longue montée depuis 3700m par une piste facile.
Après leur traversée du Pichincha (4800m), déjà mentionnée, les
alpinistes ont tenu à monter eux même les deux FTT jusqu’à la lèvre
du volcan (4700m) sur un chemin escarpé, inaccessible aux chevaux.
Seul regret, les conditions météorologiques au bord du volcan (vent,
brouillard, grésil), n’ont permis de voir ni le fond du cratère
profond de 700m, ni les fentes d’où s’échappent des fumerolles
dont les vapeurs de soufre prenaient à la gorge. Ce premier
rassemblement du groupe complet après effort, à une altitude proche
de celle du Mont Blanc, fut un instant de joie inoubliable.
L’ascension
du Cotopaxi (5900m) fut un autre temps fort pour d’autres raisons.
La montée des fauteuils, tirés par des chevaux sur une étroite
trace dans les scories du volcan les derniers 200m (entre 4700m et
4900m), fut rude. D’ailleurs les hommes durent épauler les chevaux.
Mais ce qui était frappant déjà avant le départ, c’était la
concentration et la motivation du groupe. N’oublions pas qu’il
s’agissait là du principal objectif montagnard annoncé. La conséquence :
toutes les cordées engagées sont arrivées au sommet, dont les cinq
handicapés prévus. C’est à la fatigue de certains lors de la
descente que l’on a pu mesurer à quel point la cohésion du groupe
les avait portés au bout de leur limite physique. Ce fut le cas de
Gillou, hémiplégique, dont il faut saluer ici l’exploit, car son
handicap est particulièrement lourd de conséquences avec des
crampons aux pieds. De plus, avant l’expédition il n’avait jamais
pratiqué la haute montagne. Mais ce fut aussi le cas de valides !
Le retour au refuge et l’accueil par les autres membres du groupe,
dont ceux en fauteuil, fut un instant d’intense émotion, tant
ceux-ci espéraient cette victoire. On eut vraiment l’impression
qu’elle était le fruit de tous.
Citons,
pour finir, un moment inoubliable de l’expédition lors de
l’ascension avortée du Chimborazo (6300m). Ce semi échec, puisque
nous avions décidé de ne pas tenter le sommet pour des raisons de sécurité
(après d’âpres discussions quand même), s’est en fait transformé
en un incroyable succès au niveau des fauteuils tout terrain. En
effet, une difficulté étant rarement isolée, non seulement les
conditions d’ascension étaient pour le moins inhabituelles (de la
glace au lieu de la neige), mais en plus nous n’avions pas pu
trouver de chevaux pour tirer les fauteuils jusqu’au refuge Whymper
(5000m). Il devenait donc difficile d’envisager de passer une nuit
au refuge, comme prévu. Qu’à cela ne tienne, nous sommes partis
pour la journée, en tirant nous même les fauteuils entre 4800m et
5000m sur un sentier mal marqué dont il fallait enlever les plus gros
morceaux de lave pour permettre le passage des fauteuils. Pour
atteindre ce but que nous nous étions fixé, la cohésion du groupe a
joué pleinement son rôle. La joie de tous une fois au refuge faisait
plaisir à voir. Mais si cette montée
fut le théâtre d’un plaisir intense, sa descente fut encore
plus mémorable pour les FTT. Commencée à 5000m, elle s’est
poursuivie jusqu’à la côte 3300m, soit 1700m de descente sur une
trentaine de kilomètres avec des vitesses atteignant des pointes de
60km heure, le tout sur un terrain varié composé tout d’abord de
gros blocs, puis de scories volcaniques très fine pour se terminer
par des pistes très roulantes. Tout au long de cette descente le
reste du groupe n’est pas resté inactif. Au début, la cavalcade
effrénée des FTT dans l’immensité des champs de scories qui
entourent le volcan a donné une âme de photographe ou de cinéaste a
tous les participants. Mais de retour sur les pistes l’ambiance a
changée du tout au tout. Les deux ftététistes
ont commencé à se livrer à une compétition amicale et les autres
membres du groupe, qui suivaient en car, se sont vite transformés en
supporters acharnés encourageant l’un ou l’autre des compétiteurs
occasionnels. Inutile de préciser quelle ambiance il y eut au terme
de cette descente infernale, ni au cours de la soirée qui s’en
suivit.
La fin
du séjour, consacrée à une découverte de
l’Amazonie, fut encore le théâtre d’une immense complicité
entre handicapés et valides. La présence des fauteuils tout terrain
avec leurs occupants sur les pirogues et les manœuvres
d’embarquement et de débarquement nécessaires avaient quelque
chose de surréaliste. Il faut aussi avoir vu Jean François découvrant
la forêt amazonienne dans un cacolet, sur le dos de Bernard
Laviolette, pour comprendre tout l’esprit de partage qui nous a animé
tout au long de ce séjour.
Une histoire de courage et de dépassement
personnel
Notre
réussite est avant tout une histoire de dépassement personnel de
tous, auquel il faut ajouter le courage en ce qui concerne les
handicapés. En effet, n’oublions pas que certains n’avaient
jamais pratiqué la haute montagne (Gillou et Nico) avant d’intégrer
les rangs des participants à cette expédition. Pour eux l’enjeu était
de taille, car qu’ils le veuillent ou non, ils étaient plus ou
moins destinés à servir d’exemple. Quant aux handicapés en
fauteuil, ils étaient en droit de s’interroger sur leur place dans
le groupe avant le départ. Comment allaient-ils s’intégrer à un
groupe orienté vers l’alpinisme ? Comment allaient ils
supporter, sur le plan médical, un séjour aussi long avec des
activités aussi intenses ? Oui, il fallait un certain courage
avant et aussi pendant le séjour pour relever ces challenges.
Heureusement, une fois sur place, le groupe a très rapidement montré
sa capacité à gérer ses diversités (handicaps, âges, personnalités,
expériences, …) et toutes les difficultés se sont aplanies.
Ce n’est pas un exploit réservé à une élite
Insistons
sur le fait qu’aucun des résultats obtenus ne peut être considéré
comme un exploit réservé à une élite. L’engagement a été très
limité. Les sommets visités étaient tous très fréquentés et
d’accès aisé. Ils permettaient, le cas échéant, une intervention
rapide de secours. D’ailleurs la liaison téléphonique vers la vallée
était presque toujours possible. De plus les deux médecins du groupe
étaient toujours présents. Aucune première
n’a été faite. Le non voyant cadet était déjà monté plus haut
à l’Aconcagua et au Makalu. Jean François avait atteint en FTT
l’altitude de 5600m au Tibet. Un amputé est
monté au sommet de l’Everest et un hémiplégique a déjà dépassé
les 8000m.
Si
nous n’avons pas le sentiment d’avoir réalisé un exploit, nous
avons quand même celui d’avoir atteint notre objectif, à savoir
montrer que les moyens techniques actuels offrent a des handicapés
sportifs de grandes perspectives, pour peu qu’ils le veuillent et
qu’ils s’en donnent les moyens. Seul le courage, une bonne forme
physique et un très bon mental suffisent !
Pour conclure
Nous
retiendrons de ce séjour en Equateur la possibilité, malgré des
handicaps très divers, parfois même lourds (non voyant, paraplégique,
tétraplégique), de vivre une aventure collective riche d’expérience
et de relations humaines, chacun à sa mesure. Les points forts de
cette expédition ont été la solidarité, l’esprit de groupe,
l’ambiance chaleureuse et l’entraide mutuelle tout au long de ces
25 jours.
Last update : 03/20/2005 08:43 |